Chapitre 2

Kaze

Je retourne m’assoir avec le groupe. Dave et Cole sont en pleine conversation à propos d’un article sur nous dans un magazine. Je les écoutent d’une oreille distraite mais mes pensées sont ailleurs.

Demander à cette fille son numéro de téléphone aurait été stupide, pourtant cette idée m’a traversé l’esprit lors de notre conversation. Pendant une fraction de seconde, j’ai d’ailleurs bien failli le faire, au moment de sortir des toilettes, avant que mon bon sens ne reprenne le dessus.

Parce que ça aurait été stupide en effet, pour un tas de raisons…
Déjà, elle est jeune. Ok, j’ai que 22 ans, mais ce métier vous fait mûrir très vite. De plus, Riley et moi, on a grandi encore plus rapidement que les gars de notre entourage. Je repousse ces souvenirs sombres en me focalisant sur l’objet de mes pensées. A vrai dire, l’âge n’a jamais été un problème avec les filles. Et je peux pas demander la carte d’identité de chaque gonzesse qui croise ma route.
Mais Lexie a clairement émis des ondes qui ne la placent pas dans la catégorie groupie prête à sauter dans mon lit pour une bonne partie de jambes en l’air. Elle n’est pas de ce genre, il aurait fallu que je sois aveugle ou stupide pour ne pas le remarquer. Une nouvelle fois, ses beaux iris clair dansent devant moi ainsi que ses cheveux rouge.

Comme si mon frangin avait le pouvoir de lire en moi, il tourne son visage dans ma direction.
-« Toi t’as une nana dans la tête ! » dit-il.

Je hausse un sourcil, style : « De quoi tu parles ? »
Son reniflement sarcastique m’indique clairement que je ne le mènerais pas en bateau sur ce coup-là.
-« Si tu veux mon avis t’es resté un peu trop longtemps aux toilettes pour avoir juste pissé, petit frère ! »
-« Ouais j’ai croisé une fan, elle était sympa. » répondis-je d’un ton bref.
-« Elle te plaisait ! J’dirais même beaucoup vu ta tête… »
Je lève les yeux au ciel.
-« Elle était sympa… C’est tout ! »
Et différente. Très différente des autres. Mais cette impression, je la garde pour moi.

Une lueur de curiosité éclaire les yeux de mon frangin, d’un bleu plus foncé que les miens.
-« T’as pris son numéro ? » me demande-t-il.
-« Non ! »

J’espère que le ton de ma voix l’incitera à me lâcher la grappe, au risque que mon regret de ne pas l’avoir fait ne revienne en force s’il insiste. Il m’observe quelques secondes sans un mot, puis avec soulagement, je le vois tourner la tête vers Dave, toujours en pleine conversation avec Cole. Mon esprit peut de nouveau naviguer librement vers Lexie.

C’est peut-être pas une bonne idée ! Mais quelque chose en moi s’accroche à elle.
Cette nana m’a surpris de bien des façons, en particulier quand elle m’a dit que Rising star était sa chanson préférée. La claque ! Un véritable coup de poing dans l’estomac. En vérité, très peu de gens connaissent cette chanson. Riley et moi, on l’a chantée qu’une seule fois sur scène. Alors que je tombe sur une nana, à Los Angeles, qui l’a entendue plus jeune et qui s’en souvient très bien jusqu’à la placer au top de nos créations, ça provoque en moi un sentiment difficile à expliquer.

Soudain, j’ai la drôle d’impression que cette fille arrive au mauvais moment dans ma vie… et que je vais regretter de la laisser s’envoler. Je secoue la tête, me sentant de plus en plus bizarre. Mais mes pensées continuent dans cette direction dangereuse. Elle n’a posé aucune question sur Rising star alors que j’aurais parié tout mon fric qu’elle a senti un gros truc à ce moment-là… mais elle a respecté ma vie privée.
Oui… Cette fille a quelque chose de différent de toutes celles que j’ai pu croiser jusqu’ici.

Le regret revient de plus belle… et l’envie d’aller la retrouver au bar… aussi… Encore plus fort !
Mais le bon sens jaillit de nouveau à la même seconde comme un garde-fou et étouffe cette pulsion débile. Putain, le groupe part en tournée. Une tournée mondiale qui va pratiquement durer un an ! Je n’ai pas de place… pour quoi que ce soit avec cette fille. Et l’inviter ce soir, sachant très bien que je ne résisterais pas à la tentation de l’attirer dans mon lit, serait… je sais pas… indécent, irrespectueux. Je serais un vrai connard.

Elle vaut mieux que ça. Je le sens dans toutes mes tripes. Putain, elle commence à provoquer de drôles de réactions en moi ! C’est inexplicable ! Je la connais à peine, mais je n’ai vraiment pas envie de lui faire du mal. Et quelque part, je sais que c’est ce qui arrivera si je vais la retrouver.
Bordel, c’est pas moi ça ! Me préoccuper d’une quasi-inconnue…

Sérieusement, je suis loin d’être un saint, tout comme les autres de la bande, mais Lexie est hors limites pour un tas de raisons qui commencent vraiment à me perturber. Mes pensées se tournent soudain vers toutes celles sans visage qui gravitent dans ce milieu. Mes potes et moi, on a l’habitude de ces fans qui cherchent la même chose que nous. Et il y en a des tas, à la pelle. L’immense succès de notre dernier album nous les offre sur un plateau d’argent, des faciles, des pas compliquées qui veulent juste pour la plupart se taper un mec célèbre. Chacun y trouve son compte.

Je lance un coup d'oeil à mes potes.

Qu’est-ce que je peux redire à ça ? On est jeunes et on vit ces moments à fond. Riley peut même s’en taper trois dans la même soirée, séparément ou ensemble. A part la musique, mon frangin se shoot au sexe, aux filles et à l’adrénaline, sur sa moto à pleine vitesse ou sur une planche de surf. Dave, qui a rompu avec sa copine Zelda rencontrée au lycée, le concurrence et rattrape son retard depuis quelques mois.

Cole, lui, se tape les deux, mecs et nanas.
Que notre pote aime les chattes et les queues, selon le parfum du moment, n’est un secret pour personne dans la bande. Depuis qu’on se connait, en fait. Cependant, à ce jour, rien n’a transpiré dans les médias de son orientation sexuelles, ni de ses goûts variés. En théorie, il fait ce qu’il veut de son corps, mais la réalité est plus compliquée pour un groupe comme le nôtre, en pleine ascension, comptant des millions de nanas comme fans.
Le label est plutôt frileux à ce sujet. Steve, notre manager, en a d’ailleurs discuté avec Cole. Tous deux sont arrivés à une sorte de compromis si je peux dire. Je ne m’en mêle pas. Tant que ça convient à Cole, c’est OK pour moi. Il a mon soutien quoi qu’il décide.

Au même moment, je le vois taper sur son portable. En début de soirée, avant d’arriver au Blue, il avait déjà le nez collé dessus. Je sais parfaitement quelle application le retiens ainsi rivé sur son clavier. Et la suite ne m’étonne pas quand il annonce soudain :
-« Hé, les gars, je vais vous laisser ce soir. »

On sait tous que ça va être une de ses soirées en solo où un mec l’attend quelque part, dans un bar ou un motel. Dans la foulée, il se lève et colle son poing à celui de Dave et de Riley avant d’en faire autant avec moi.

-« On se voit demain et fais gaffe… » lui dis-je.
Il me fait un clin d’oeil.
-« T’inquiète pas, mec. »

Il se dirige vers une sortie discrète suivit par un garde du corps affecté à sa sécurité. La condition non négociable de Steve pour qu’il puisse s’échapper, ces soirées-là, et se taper les mecs qu’il veut. Je doit avouer que ça me rassure aussi.

-« J’ai la dalle. » lance soudain Riley.
Dave se frotte le ventre. Avec son attitude décontractée, c’est le plus calme de la bande.
-« Moi aussi, je mangerais bien un truc avant d’aller en boîte. » dit-il.
Mon frangin se tourne vers moi :
-« Ca te dit ? »
-« Ouais, j’avalerais bien quelque chose. » répondis-je.

Nous nous levons et sortons à notre tour, suivit discrètement par deux gardes du corps.
La fatigue se fait ressentir, je n’ai pas particulièrement envie d’aller en boîte ensuite, mais c’est notre dernière nuit à Los Angeles avant qu’on s’envole pour Miami rejoindre Steve, puis direction Londres.

Nous marchons à travers les rues pour aller chercher de quoi manger dans un snack et la fille aux cheveux rouge se fraye de nouveau un chemin dans mes pensées. Mais ce coup-ci, je la repousse de ma mémoire en me focalisant sur les prochains mois.
On est tous excités par cette tournée qui va nous permettre de nous produire pour la première fois sur des scènes internationales, à la rencontre de notre public. Tout ça, c’est une bonne raison pour ne pas succomber à ces magnifiques prunelles qui dansent encore une fois devant mes yeux, malgré moi. Je me force à me concentrer sur notre tournée mondiale, qui démarrera à Londres, passera par la France et toute l’Europe, puis par l’Asie et l’Australie pour s’achever en Angleterre. Le point de départ.

Ignorant ce regret qui persiste bizarrement, et forme même une petite boule dans ma poitrine, je me mêle finalement à la conversation entre mon frangin et Dave pour chasser ce drôle de truc.

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