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Chapitre 9

Kaze

Je suis là, les yeux fixés sur l'immense étendue d'eau salée. J'aime observer l'océan, sa force incomparable vibre dans chaque cellule de mon corps, comme des notes de musique produites par la puissance d'un instrument.
Je respire profondément.
Aujourd'hui, c'est vraiment une belle journée, ce mois de décembre ensoleillé est particulièrement doux.

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Riley aurait adoré surfer par ce temps-là... Son souvenir me serre la gorge, me lacère la poitrine et me bloque la respiration. Est-ce qu'un jour la douleur sera moins intense ? J'en doute.
Depuis sa mort... c'est comme s'il me manquait un organe vital pour fonctionner, c'est comme si on m'avait arraché une partie de moi-même sans refermer la plaie béante.

De l'enterrement de mon frère, il ne me reste qu'une succession d'images plus ou moins floues, à part son cercueil, ce foutu cercueil, que je vois encore...

 

Les avant-bras posés sur la rambarde en bois qui borde la terrasse, je continue à fixer l'océan, les poings serrés, cette douleur toujours aussi vive. Mais j'apprend à la gérer, à la surmonter.
Durant des mois, j'ai déconné grave, entraîné dans une spirale infernale, parce que me lever, respirer et faire les gestes du quotidien étaient tout simplement devenus des épreuves insurmontables.
L'alcool, la fumette, la défonce, anesthésiaient une souffrance intolérable avant qu'elle ne revienne encore plus forte lorsque j'émergeais de mon état lamentable.

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Puis, la suite n'a été qu'une escalade pour m'abrutir et empêcher ces coups de couteau féroces de ma laminer de l'intérieur.
Jusqu'à l'incendie.
Tout m'a alors pété à la figure.
Mes paupières picotent en pensant à ce feu. A ce que j'ai perdu ! La baraque, je m'en fou, mais les souvenirs de Riley...

 

Je ferme brièvement les yeux en avalant la boule dans ma gorge, avant de les rouvrir et de m'accrocher à l'océan, son odeur, sa force et son souffle qui effleure mon visage.

Je suis là, loin de Miami, loin de ma vie, dans un petit paradis à Folly Beach, un endroit où j'ai toujours aimé passer mes vacances. Certes, ici, tout me rappel Riley, mais le Riley que les fans ne connaissent pas, passionné de surf depuis tout jeune, adorant l'océan et cette partie de la Californie. Et malgré ces souvenirs douloureux, ce retour aux sources me fait du bien, quelque part en moi.
D'ailleurs, depuis mon arrivée, je n'ai pas bu une goutte d'alcool, à part une bière de temps en temps. Plus de joints également, même pas une clope. Riley aurait détesté me voir sombrer ainsi, alors je lutte et me raccroche à ça.

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Dès les premiers jours, j'ai trouvé un rythme de vie différent. Cloîtré dans ce havre de paix face à l'océan, j'occupe mes journées en faisant du sport, sous l'œil expert de Milo, mon garde du corps qui me protège de l'extérieur. Je n'ai pas la tête à écrire ou à composer.
 

Il est convenu que je passe les fêtes de Noël avec Cole chez sa grand-mère. Au départ, j'ai refusé, et il a fallu que mon pote menace de venir me chercher par la peau du cul si je ne me pointe pas pour que j'accepte finalement. Milo m'y déposera avant de se rendre dans sa propre famille. Cole sait parfaitement que je n'irais pas chez mon père, ma seule famille directe, pour un tas de raisons. De ce fait, il m'a déjà averti qu'il viendrait passer le Nouvel An avec moi, ici, à Folly Beach. Je n'ai pas eu voix au chapitre, mais je lui suis reconnaissant... d'être là.
Quant à Dave, il m'appelle régulièrement de Miami. Nos conversations ne durent jamais vraiment longtemps, car la mort de Riley l'a lui aussi durement éprouvé. Mais ces quelques minutes semblent lui faire du bien, et à moi aussi d'ailleurs.

 

A cet instant, Chloé traverse mon esprit... un autre sujet sensible... mais une voix derrière moi m'extirpe de mes pensées.

 

- Kaze ?

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Je pivote vers Milo qui s'approche, tenant une enveloppe dans sa main.
 

- Une personne a apporté ceci. Elle voulait voir Garrett pour qu'il te la transmette.
- Ne me dis pas que c'est une journaliste ? lancé-je d'un ton ennuyé.
- Non, c'était juste une fille qui en sait un peu plus que les autres, sur toi et ta famille.
- Tu es sûr qu'elle n'a pas compris que j'étais ici ?
- Je ne pense pas. Mais si l'idée lui a traversé l'esprit, avec la frousse que je lui ai fichue, elle ne posera pas de problèmes. Rassure-toi.

 

Sur ce, il marque une petite pause.
 

- Mais honnêtement, elle m'a semblé... différente.
 

Surpris, je soutiens son regard insistant.
 

- Kaze, je crois que tu devrais jeter un coup d'œil.

 

Je baisse les yeux vers l'enveloppe qu'il me tend. D'habitude, Milo est un rempart entre moi et le reste du monde. Le fait qu'il n'ait pas jeté direct à la poubelle l'enveloppe que cette inconnue lui a donné est extrêmement surprenant. Et qu'il m'incite à l'ouvrir, encore plus.
Une écriture fine attire soudain mon attention.

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Et là, le choc ! Quand je lis ce qui est écrit dessus : Rising Star.
Tout ce qui m'entoure paraît se fondre dans le décor, le moindre son semble amplifié, des vagues au loin au bruissement de papier quand je sors... ce qu'il y a à l'intérieur. Une photo...

 

Mon corps se fige violemment.
Je reste immobile, l'œil fixe, les doigts tremblants, alors que chacun de mes neurones enregistre le moindre détail du cliché. Je me rappel comme si c'était hier notre duo dans ce bar. Riley et moi on avait chanté une version acoustique de cette chanson écrite des années en arrière.

 

Mes yeux s'embuent et je cligne des paupières pour en chasser l'humidité, m'imprégnant de chaque nuance du visage de mon frère, de son regard à son expression, la gorge très nouée. Les paroles de Rising Star sont tristes, liées à un évènement marquant de notre vie, mais Riley me sourit, heureux qu'on la chante ensemble, qu'on lui donne vie pour la première et unique fois en public.
Ce moment important, ce souvenir... qu'il soit immortalisé... c'est tout simplement...
Je n'ai pas de mots pour décrire ce que je ressens à cet instant, écartelé entre la joie sincère de récupérer un tel trésor, et une profonde tristesse.

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- Qui t'a donné ça ? demandé-je lentement, la voix rauque.
- Une fille... Elle m'a dit que c'était son frère qui avait pris cette photo il y a des années, avant que vous ne soyez connus.

 

Je fais un pas rapide vers Milo, le cœur cognant dans ma poitrine, un nœud au ventre.
 

- Où est-elle ?
 

Une lueur d'étonnement traverse son regard :
 

- Elle est partie, il y a cinq minutes... mais je peux essayer...

 

Je me précipite vers la baie vitrée. Je pose le cliché au passage sur une table et continue ma course en direction de la porte d'entrée que j'ouvre en grand. Je me met à courir.
 

- Hey, Kaze ! Putain, Kaze ! s'exclame Milo, sur mes talons.

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J'accélère, bifurque sur un chemin, augmente encore l'allure, angoissé à l'idée qu'elle ait disparu. Un profond soulagement me fait presque trébucher lorsque j'aperçois une silhouette sur le point de tourner à un angle.
 

- Hey... attends ! crié-je. Attends...

 

Je la vois stopper net, pétrifiée. Elle se retourne très lentement, comme si ses oreilles lui jouaient un tour.
Quand elle me découvre, ses yeux s'arrondissent comme des soucoupes, le choc se lit clairement sur son visage.
C'est elle ! C'est bien elle...
Elle n'a pas changé. Elle est toujours aussi canon.

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Alors que je m'approche d'elle sans cesser de la fixer, mon corps pulse de plus belle. Je m'arrête à quelques pas.
A quelques pas de Lexie, la fille aux cheveux rouges, que j'ai rencontrée au Blue, puis dans un hôtel de L.A.
Elle me dévisage.
Puis, je souris lentement. Elle en fait autant.
Un très joli sourire, le même que dans mes souvenirs. Je me racle la gorge.

 

- Merci pour la photo, elle est vraiment superbe...
- De rien, j'ai pensé que tu serais heureux de l'avoir en souvenir...

 

Elle n'ajoute rien de plus, mais ces simples paroles agissent comme un véritable baume sur la profonde douleur que je porte en moi.
 

- Tu ne sais pas à quel point. réponds-je d'une voix rauque... C'est un superbe cadeau. Encore merci...

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Elle déglutit, ses jolies prunelles brillent d'une émotion identique à la mienne. Aucun mot n'est nécessaire, je comprend son message silencieux, sa propre tristesse et son empathie envers la mienne. Un léger silence s'installe entre nous.
Un silence qui n'a rien de gênant, au contraire.

 

- Tu as le temps de rester un peu ? demandé-je soudain. Je peux t'offrir quelque chose à boire ?
 

Ses yeux s'écarquillent légèrement. Comme si elle n'en croyait pas ses oreilles que moi, Kaze Jonhson, je puisse l'inviter, elle.
 

- Oui, je n'ai rien de prévu. répond-elle avec un petit sourire.
 

Elle s'avance vers moi en jetant un coup d'œil par-dessus mon épaule.
 

- Tu es sûr que ton garde du corps ne va pas me noyer dans l'océan ?
 

Et là, pour la première fois depuis un sacré bout de temps, j'éclate de rire. Un rire franc et naturel. 
C'est si bizarre d'entendre un tel son sortir de ma bouche que Milo me jette un coup d'œil indéfinissable avant de reprendre sa surveillance d'un air aiguisé. Il est posté à une bonne vingtaine de mètres de nous, nous accordant une certaine intimité.

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- Il peut être charmant parfois ! lâché-je.
- Vraiment ? Il était plutôt flippant... tout à l'heure.

 

Son regard devient espiègle et je sent mon cœur faire un bond sous mes côtes. Je continue à la dévisager et remarque une nouvelle fois la finesse de ses traits.
Elle avance jusqu'à ma hauteur et on se met à marcher côte à côte. Au fil des secondes, cette connexion que j'ai déjà détectée durant nos précédents échanges, je la sent de nouveau dans chaque pore de ma peau.

 

En arrivant près de Milo, je la vois arborer un grand sourire. Je ne sais pas ce que ce dernier lui a dit, mais elle prend visiblement un malin plaisir à le narguer gentiment le temps de le dépasser.
Le coin des lèvres de Milo se retrousse imperceptiblement avant qu'il ne nous emboîte le pas pour nous suivre à quelques mètres.

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Une drôle de chaleur envahit ma poitrine. Déstabilisé, je met mes pouces dans les poches de mon jean d'un air pas trop idiot, pour masquer mes réactions étranges.

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